Back on Track Belgium asbl, Canopea et la Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia (ex-UWE) ont organisé de concert, ce 20 juin 2024, une après-midi d’information, d’échanges et de réflexion sur la place du train dans les voyages d’affaires. Un événement, soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles et placé sous les auspices de la présidence belge du Conseil de l’Union Européenne.
Back on Track Belgium est un collectif de citoyens, branche belge d’un réseau européen, qui œuvre à l’amélioration du trafic ferroviaire transfrontalier et se bat pour le retour des trains de nuit. Son action s’inscrit dans la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur du transport en reportant, notamment vers le rail une partie des déplacements. Pour des distances entre 800 et 1.500 km, ce dernier peut s’avérer compétitif par rapport à l’aérien ; il est, en effet, très peu émissif, et plus encore en version de nuit puisque les convois, pour éviter une arrivée quand tous les voyageurs dorment encore, roulent moins vite qu’en journée.
La présidence belge de l’Union européenne ayant fait du train de nuit l’une de ses priorités, Back on Track Belgium a souhaité, en s’associant à Canopea et à la Cellule Mobilité, débattre de la question avec le monde de l’entreprise. Retour sur cette après-midi d’échanges et de partages.
Travel Smart : un classement pour sensibiliser par l’exemple
Transport & Environment (T&E) est une ONG européenne dédiée à la promotion d’une politique de transport durable et respectueuse de l’environnement. Via la campagne « Travel Smart », qu’elle mène avec différents partenaires en Europe, aux États-Unis et en Inde, elle milite pour une réduction importante des émissions liées aux déplacements aériens des entreprises parce que le secteur de l’aviation est celui qui a la plus forte incidence sur le climat, mais aussi parce que ses émissions n’ont cessé d’augmenter. Sans perspective à court terme pour des carburants moins polluants, on ne peut que sensibiliser à voyager moins et autrement. D’où la campagne « Travel Smart » qu’est venue présenter, l’une de ces promotrices, Erin Vera. Cette campagne établit à partir d’informations liées aux émissions carbone disponibles (SBTI notamment) le classement de 327 grandes entreprises sur la base des émissions liées aux vols d’affaires qu’elles ont effectués. Au-delà du résultat, il s’agit de mettre en avant des pratiques exemplaires, de faire connaître des outils (calcul de l’empreinte des vols, travel policies, analyse des effets des voyages d’affaires sur le climat, guides divers, etc.) et de donner des conseils.
Comment les entreprises peuvent-elles gérer les émissions de leurs vols d’affaires ?
- Fixer des objectifs pour réduire les émissions des vols d’affaires
- Réduire les vols fréquents
- Remplacer les vols long-courriers par des outils de collaboration virtuelle
- Passer de l’avion au train à grande vitesse


Ombudsrail décrypte les procédures HOTNAT et AJC
Ombudsrail est le service de médiation dont s’est dotée la Belgique pour les voyageurs ferroviaires. Ses juristes informent les voyageurs sur leurs droits et leurs obligations. Invitation a donc été lancée à Jean-Marc Jeanfils pour présenter aux participants deux procédures, méconnues de la plupart des utilisateurs des trains internationaux, lorsqu’une correspondance est manquée. Il faut savoir que les entreprises ferroviaires pratiquent la « segmentation des contrats » ; autrement dit, elles ne s’estiment responsables que de la partie de l’itinéraire du voyage qu’elles-mêmes exécutent, même si le voyageur a réservé l’ensemble de son itinéraire auprès d’un seul vendeur et dans le cadre d’une transaction unique. Lorsqu’un retard de train empêche le voyageur de prendre la correspondance prévue pour poursuivre son trajet, il est souvent obligé de booker un nouveau billet. Les tarifs des voyages en train étant déjà élevés, ce risque décourage souvent les entreprises dans le choix de l’option train pour les voyages d’affaires. Il existe pourtant deux procédures auxquelles les voyageurs peuvent recourir, découvrez-les ci-dessous.
HOTNAT (Hop on the next available train)
Comme son nom l’indique, HOTNAT est une procédure permettant aux voyageurs qui manquent leur correspondance avec un train à grande vitesse de l’alliance Railteam (DB, SNCF, SNCB, Eurostar, NS International, ÖBB, SBB et TGV Lyria) de pouvoir prendre sans frais supplémentaires le prochain train à grande vitesse de cette même alliance pour l’emmener à destination. Toutefois, sans garantie de place assise…
AJC (Agreement on Journey Continuation)
L’AJC est un accord entre 15 entreprises ferroviaires européennes (BLS, CD, CFL, DB, DSB, SNCB, NS, ÖBB, Renfe, SJ, SBB/CFF/FFS, SNCF, SZ, Trenitalia, ZSSK) permettant aux voyageurs ferroviaires internationaux de prendre le prochain train disponible (aussi bien trains à grande vitesse, que trains intérieurs) sans frais supplémentaires s’ils manquent leur correspondance. Pour en bénéficier, le voyageur doit cependant avoir prévu, lors de sa réservation, un temps suffisamment long pour sa correspondance. Ici non plus, il n’y a pas de garantie de places assises.
Le problème de ces deux procédures, c’est qu’elles sont très mal connues, même au sein du personnel ferroviaire. Les informations sont difficiles à trouver, parfois contradictoires et surtout non contraignantes puisque relevant non pas d’obligation de service, mais plutôt de gestes commerciaux des compagnies ferroviaires.


Discussions et réactions
L’organisation de cet après-midi dédiée aux voyages en train se voulait participative ; le public a donc été invité à s’exprimer. Florilège de réflexions et commentaires :
« Promouvoir les voyages d’affaires en train est compliqué parce qu’il n’y a pas encore assez de trains de nuit, mais aussi parce que la qualité des voitures n’est pas toujours au rendez-vous. Souvent, les wagons sont très anciens et fort éloignés du confort de certaines rames modernes. »
« Le train a un gros avantage par rapport à l’avion : on peut facilement y travailler et dans de bonnes conditions. Surtout si l’on voyage en première classe. Si l’on réserve son billet bien à l’avance, la différence de prix pour la première classe n’est pas excessive. »
« Le train permet de partir d’un centre-ville et d’arriver dans un autre centre-ville. C’est une différence notoire par rapport aux avions. Le confort y est aussi meilleur (surtout pour les grands gabarits !) et le temps passé peut être facilement rentabilisé en travaillant. En voyageant de nuit, on économise aussi la nuit d’hôtel. Raison pour laquelle, le critère du prix devrait être mieux analysé. »
« Un frein identifié par mon entreprise pour les voyages en train de nuit est la question de la sécurité quand une femme voyageant seule doit partager sa cabine avec des inconnus. On parle aussi de la sécurité de l’ordinateur lorsque celui-ci contient des informations sensibles. »
« Pour le secteur public, il est difficile de choisir de voyager en train à cause du critère du prix. Dans les choix que nous opérons, nous sommes tenus par des directives administratives de choisir le mode de transport le moins cher. Et à ce jeu, le train ne remporte jamais la bataille même si pour l’avion, il faut y ajouter ensuite les autres frais (bagages, liaisons vers les aéroports, etc.)».
Quelles stratégies les employeurs ont-ils mises en place pour voyager de manière plus durable en Europe ?
Table ronde avec les témoignages de la Royal Belgian Football Association, l'UCLouvain, l'agence de voyage Railtrip.travel, le NCP Wallonie et les Cliniques de l'Europe.
Géraldine Heinen – Royal Belgian Football Association
La fédération, c’est 250 collaborateurs, 15 équipes nationales de football, leurs délégations (sponsors, staff technique, médical, etc.), du lobbying dans le monde entier pour l’UEFA et la FIFA, des congrès et workshops… Sans oublier les milliers de supporters qui se déplacent. Depuis 2020, la RBFA a un pilier environnemental dans sa stratégie RSE et, par exemple dans le contexte de l’Euro, fait voyager des supporters en train, des sponsors en bus, etc. Mais actionner les initiatives reste très compliqué. D’abord parce que tout le monde n’est pas encore convaincu, ensuite parce que concilier performance et écologie ne va pas toujours de soi. Enfin parce que les finances de la Fédération ne sont pas au beau fixe, ce qui pèse dans les choix à faire. Après un bilan mobilité réalisé avec le concours de la Cellule Mobilité, la RBFA a mis en place une business affair policy qui devrait être jointe à sa travel policy.
Fabian Pirard – Railtrip.travel
En tant qu’agent de voyage, Fabian Pirard insiste sur la nécessité de créer un service de qualité pour encourager les voyages en train. On peut être créatif. Par exemple si l’on pense à des trains charter pour des supporters, on peut imaginer une belle expérience de train avec un bar, une discothèque… La plus-value pour une entreprise de passer par une agence de voyages spécialisée se trouve dans les garanties que l’on peut apporter et les services en plus que l’on peut négocier.
Autre suggestion : plutôt que faire de longs trajets pour une réunion d’affaires, pourquoi ne pas se donner rendez-vous en terrain neutre à mi-chemin pour tout le monde, mais dans un lieu facilement accessible en train, par exemple.
Grégory Falisse – UCLouvain
Pour l’UCLouvain, le choc fut de réaliser lors de la présentation de son bilan carbone que 51% de ses émissions provenaient des déplacements de son personnel et des étudiants. Les voyages à l’étranger représentent 4% des émissions de l’université.
Dès lors, dans le cadre du Plan Transition de cette dernière, tous les instituts de recherche ont adopté une charte pour des déplacements internationaux responsables. On y préconise d’éviter certains voyages en privilégiant la mobilité virtuelle ; de faire des séjours moins fréquents, mais plus longs ; d’éviter l’avion quand c’est possible selon les villes de destination. À ce titre, l’agence de voyages avec laquelle l’UCLouvain travaille est obligée de proposer des alternatives à l’avion sur certaines destinations proches. Si le volume de déplacements internationaux n’a pas vraiment diminué (il est très difficile pour un chercheur de ne pas voyager dans la mesure où participer à des colloques à l’étranger fait partie du système d’évaluation), on constate cependant une augmentation des voyages en train qui sont passés de 17% en 2019 à 23% aujourd’hui.
Bonne pratique à souligner : plutôt que compenser les voyages en avion, l’UCLouvain a créé une contribution carbone de 50€ par tonne de CO2 dont doivent s’acquitter les instituts chaque fois qu’un chercheur ou un membre du personnel prend l’avion. L’argent ainsi récolté sert à financer les billets de train plus chers de ceux qui font le choix de ce mode de transport.
Francisco Santana Ferra – NCP Wallonie
Le NCP Wallonie aide les entreprises wallonnes, les centres de recherches et les universités à participer à des projets de R&D financés par des fonds européens. Ses conseillers voyagent donc souvent. Le hic, c’est que les recommandations en matière de voyages diffèrent en fonction du donneur d’ordre de chaque mission (AWEX, SPW…). Pour certains, il faut choisir le mode de transport le moins cher (donc des compagnies comme Ryanair), pour d’autres, les règles varient en fonction du kilométrage : le train si on fait moins de 500 km, l’avion au-delà de 500 km (mais pas Ryanair et opter pour les trajets à escale s’ils sont moins chers) et quand on voyage avec l’AWEX, on est obligé de suivre les choix qui ont été faits pour la mission. Une politique commune, une vision globale des voyages serait un plus.
Odile Michel – Cliniques de l’Europe
Si dans son hôpital il n’y a pas encore d’initiatives pour la promotion des voyages en train, Odile Michel a fait le choix personnel de ne plus voyager que de cette manière. Elle a banni l’avion et refuse certains déplacements pour cela. Heureusement, le Covid a généralisé les formations en ligne, ce qui a fortement contribué à diminuer les déplacements à l’étranger. Pour elle, le fait que le voyage en train soit plus long peut être valorisé de deux manières : par le télétravail et par le fait d’éviter la location d’une chambre d’hôtel. Par contre, ce qui reste problématique, c’est la gestion budgétaire. Pas facile d’établir un budget annuel quand on n’a aucune vue sur le prix des billets aussi longtemps à l’avance. Son conseil : être au taquet au moment où la vente des places s’ouvre, c’est plus intéressant financièrement parlant.

Comment encourager des voyages d’affaires durables en entreprise ?
Très pratiquement, Béatrice Schobbens (Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia) conseille de prime abord d’évaluer la situation. Différents outils sont à la disposition des entreprises : le bilan carbone, le bilan mobilité de la Cellule Mobilité, le Travel Scan du Climate Neutral Group ou tout autre outil de suivi interne. Il faut ensuite concevoir une stratégie, notamment selon le principe d’approche de durabilité environnementale « Avoid-Shift-Improve ». Enfin, la mettre en œuvre en se fixant des objectifs chiffrés, en adoptant une travel policy, en sensibilisant, en utilisant un calculateur d’impact, etc.
Devenir un Business Travel Pionneers ?
Le Bond Beter Leefmilieu, Canopea et Climate Neutral Group ont lancé l’idée de créer un réseau de Business Travel Pionneers en Belgique ; autrement dit, un réseau d’entreprises, d’universités et d’organisations décidées à s’engager officiellement (via une charte) à réduire leurs émissions de CO2 liées aux voyages d’affaires et à communiquer sur leurs actions. Comment ? En organisant des workshops et du networking ; en mettant à disposition sur une plateforme en ligne un guide de mise en oeuvre, des témoignages, des outils, mais aussi en communiquant régulièrement.
Jean Mansuy, chargé de mission chez Canopea a listé pour les participants les outils à leur disposition pour organiser leur voyage international en train et ceux qui permettent de calculer les émissions de CO2 générées par les voyages.